Moi par moi
Tout a commencé de manière insolite, pittoresque, buissonnière. En Afrique noire où je suis né, au début des années cinquante. Du siècle dernier, bien entendu. Dans un village de huttes chétives où se faufilait la ligne imaginaire de l'équateur. Un village dont je dois être l'unique rejeton européen, puisque enfanté en cours de route par ma mère, qui ne pouvait plus attendre d'expulser. Un village qui peut-être n'existe plus aujourd'hui, biffé des cartes par d'interminables guerres. Pendant sept ans j'ai donc vécu en brousse, parmi des enfants noirs, au milieu de quelques coloniaux, tout de blanc vêtus. Déjà un monde de contrastes et de couleurs! Un beau jour, j'ai pris l'avion pour un retour en Europe, laissant derrière moi ma famille. Pour retrouver des grands-parents inconnus, énigmatiques, novices dans la tâche d'éduquer un petit fauve mal dégrossi. Mais des grands-parents en or, encore et toujours au panthéon de mes souvenirs. Une enfance heureuse, rythmée par l'école chrétienne, les valeurs bourgeoises et familiales de l'époque, le sport, les amis d'enfance et d'une vie, les petits bonheurs et malheurs de l'âge de l'innocence, puis de celui de la puberté. Mai '68 viendra bouleverser bien des certitudes, balayer de nombreuses idées reçues, ouvrir portes et fenêtres pour laisser entrer de l'air frais. Ce fut mon épisode ultra-gauchiste (dixit mon père!): cheveux longs, pantalons à pattes d'éléphant, love and peace, filles en fleurs, musique psychédélique, idées che-guevaristes, adhésion au tribunal Russel. Et au milieu de ce tapage, après le bac, des études plutôt dissipées pour finir journaliste pigiste d'un quotidien national, avec des revenus misérables, mais sauvé par la vie nocturne et un travail complémentaire, très rémunérateur, de barman dans un club privé. Une excellente formation sociale d'ailleurs, les petites heures du matin étant propices à l'observation et à l'écoute d'un genre humain en veine de confidences, de confessions. Les événements se succèdent alors sans temps mort: service militaire actif, retour à la vie civile et premier emploi en tant _ |
que rédacteur en chef d'un magazine professionnel et mariage. Et le début d'une passion pour l'hispanité, pour l'Amérique du Sud, Un certain goût pour l'originalité, l'inimaginé, l'ailleurs! La vie s'emballe encore avec une série d'avènements: la paternité, l'édition dans tous ses états, le boulot "à point d'heure". Et puis, comme seule l'existence peut l'orchestrer, de moins bons moments et un divorce. Départ vers d'autres cieux. Solitude. Toujours la vie. Rencontre avec l'âme-sœur, un amour apaisé et profond, retour de la vie familiale, quinze années d'une vie professionnelle trépidante. Mais la vie n'est jamais un fleuve tranquille. Les enfants à leur tour s'envolent du nid pour des horizons lointains, les parents vieillissent et requièrent un certain accompagnement, l'économie mondiale fait des siennes. Le temps du changement se profile à nouveau. Après avoir bourlingué un peu partout, c'est un plaisir de s'enraciner, de goûter au foie gras maison, de trafiquer son alcool de mirabelles, de voyager en pensées, textes et images dans le monde entier grâce à internet, de lire et écrire. D'être enfin ce que le destin vous a façonné: un individu multiple, complexe, contradictoire. Qui suis-je finalement? Un Européen, au pedigree composite, né en Afrique, ayant vécu dans plusieurs pays, s'étant frotté à diverses cultures. Sentimentalement, géographiquement, intellectuellement. Sans doute une personne ouverte d'esprit, respectant le passé mais connecté aux choses de maintenant, qui prône la tolérance, la solidarité et l'universalité dans un monde qui semble plutôt s'éloigner de ces valeurs élémentaires. Et quand parfois le pessimisme, la mélancolie, le scepticisme, l'impatience ou le désenchantement s'infligent à moi, parfois tous ensemble, je me réfugie dans la lecture et surtout l'écriture. Et je fais mienne cette phrase de Borges: "Une destinée ne vaut pas plus qu'une autre, mais tout homme doit respecter celle qu'il porte en lui". |
------------------ Entretien imaginaire ------------------
Pourquoi imaginaire? Pour deux raisons. L'une est littéraire et renvoie à Eugène Ionesco qui disait: "la vérité est dans l'imaginaire". L'autre est plus prosaïque et reflète notre époque très médiatisée dont les principaux moyens de communication ne sont accessibles qu'à un petit nombre. Les autres, comme moi, doivent se débrouiller comme ils peuvent. Donc à défaut d'être interviewé par un média réputé, j'ai opté pour l'entretien imaginaire. Vous êtes né en Afrique et avez vécu dans différents pays. Votre famille compte aussi diverses nationalités. Qui êtes vous réellement? On pourrait me qualifier de citoyen du monde, car dans tous les pays où j'ai vécu ou travaillé, je me suis senti chez moi, m'intégrant sans aucune difficulté. Ouverture d'esprit, multilinguisme, intérêt pour toutes les cultures sont certains des aspects de ma personnalité. Mais pour en savoir plus, sans doute faut-il me lire et découvrir peut-être entre les lignes qui je suis. Où cherchez-vous l'inspiration? Dans les événements de ma propre vie ou de personnes que j'ai connues. Cette source est génératrice d'émotion et d'incitation. L'histoire aussi se révèle un ferment d'idées et d'exaltation. Parmi vos personnages, certains sont-ils inspirés de personnes réelles? Bien entendu. Comme tous les auteurs, je crois. mais je les dénature, je les maquille, quand je ne les entrelace pas. Parfois il y a aussi une pincée de moi ou de ce que j'aurais voulu ou pu être! Comment écrivez-vous? Avez-vous un plan de départ? La fin est-elle écrite dans votre esprit? Ma fille qui est une spécialiste de Zola, prétend que ma méthode suit fidèlement celle du maître du naturalisme. Il est vrai que j'ai un plan détaillé, chapitre par chapitre, épilogue compris, de l'histoire que je vais conter. Chaque personnage possède sa fiche avec son profil physique et psychologique. Des éléments secondaires, historiques, sociaux, économiques, ont déjà été l'objet de recherches dûment résumées. Il y a quelque chose d'un scénario de film dans ma façon de préparer mon roman. Après je me mets à écrire... Êtes-vous atteint du syndrome de la page blanche? Non, puisque j'écris selon un plan précis, où toutes les actions, les personnages, leurs émotions, les éléments extérieurs, sont prédéterminés. Une fois devant la feuille vierge, ma plume glisse, rature, modifie, parfois se pose pour réfléchir. mais toujours ma page se noircit! |
A quel genre littéraire vos ouvrages appartiennent-ils? Mon premier roman est le récit de plusieurs vies qui se télescopent, dans le passé et dans le présent, sur une trame historique, celle de la seconde guerre mondiale, et sur des considérations sociétales actuelles. Mon deuxième roman reprend l'un des personnages de mon premier livre, dont on va suivre la destinée en Amérique latine, toujours sur une trame historique. Quant à mes nouvelles, elles représentent de petites chroniques amusantes, un peu grinçantes, autour de portraits relatifs à la religion. En ce qui concerne la poésie, mes textes sont des instantanés sans prétention de petits moments de vie. Quel est le meilleur compliment qu'on puisse faire à votre travail? "Quand j'ai commencé votre livre, je ne l'ai plus lâché. Jusqu'à la fin!" Avez-vous un projet d'écriture en route? Plusieurs en fait. D'abord un nouveau recueil de nouvelles, intitulées "Le bambin de Tenochtitlan". A partir du postulat d’un enfant de quatre ans abandonné sur un marché mexicain, les vies imaginées que pourrait avoir eues cet orphelin. Au Mexique, à travers des événements historiques du pays, à différentes époques, et aujourd’hui à travers des situations d’émigrés mexicains dans divers pays. Et puis un nouveau roman avec comme titre provisoire "Le manuscrit de trop". L'histoire d'un manuscrit original que plusieurs "auteurs" revendiquent mais où les imposteurs sont légion. Quels sont les auteurs que vous lisez? Ils sont très nombreux. je suis assez éclectique dans mes lectures. Stendhal, Camus, Yourcenar, Dumas pour son inventivité, Jean Dutourd pour la langue, Hector Biancotti. J'adore Quevedo et Cervantès et puis les Sud-américains comme Borges, Gabriel Garcia Marquez, Carlos Fuentes, Mario Vargas LLosa, Cortazar. Mais encore Umberto Eco, Paul Auster ou John Irving. J'aime aussi les thrillers américains. Des auteurs plus sérieux comme Paul Veyne, Braudel, Mircea Eliade, Dumézil. En poésie je lis Gaston d'Orléans, Baudelaire, Verlaine, Verhaeren, Odilon Jean Périer. Le mot de la fin? Que tout ce que je viens de dire de moi n'a aucune importance. Je fais mienne cette phrase de Borges: "Que voulez-vous que je dise de moi? Je ne sais rien de moi. Je ne sais même pas la date de ma mort". |
Questionnaire de Bernard Pivot
- Mon mot préféré: zythogala
- Le mot que je déteste: peut-être...
- Ma drogue favorite: le chocolat
- Le son, le bruit que j'aime: les bruits de l'orage
- Le bruit que je déteste: la meule du dentiste
- Mon juron préféré: fesse de mite
- Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque: Amélie Nothomb avec son chapeau
- Le métier que je n'aurais pas aimé faire: croque-mort
- La plante, l'arbre, l'animal dans lequel j'aimerais être réincarné: le pin d'Alep
- Si Dieu existe, qu'aimerais-je, après ma mort, l'entendre me dire: "Et dire que tu croyais que Je n'existais pas!"